Période avant guerre 1939-1940

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Nous étions sous la 3ème République. M. Albert Lebrun était président, M. Edouard Daladier Président du Conseil.

Ici les élections municipales avaient eu lieu en 1935, Eugène Bichat était maire, Léon Féron adjoint; étaient conseillers : Gaston Dralez, Léon Lorcy, Edouard Février, Gaston Champenois, Georges Anstette, Eugène Gruyer, Henri Bailly, Auguste Regnault, Valentin Gruat et Pierre Regnault.

En 1939, il y avait un peu moins de 5OO habitants et pas plus de 20 automobiles. I1 y avait très peu d’abonnés au téléphone, naturellement pas de télé et seulement quelques privilégiés avaient la TSF. Pas de tronçonneuse, on abattait les arbres à la hache et au passe-partout, on tirait la grève à la pelle, pioche et drague, on échafaudait avec des perches et des cordages de chanvre, pas de nylon ni aucune matière plastique.

A part la Grand’rue, aucune rue n’était goudronnce, elles étaient périodiquement rechargées et les cailloux étaient tassés au rouleau compresseur à vapeur.

Les ouvriers qui travaillaient aux usines de Pargny y allaient par tous les temps à vélo et même quelque fois à pied. Les cultivateurs, une trentaine environ, travaillaient la terre avec des chevaux.

Il y avait 5 cafés dont 2 avec billard; 3 épiceries; 1 boulangerie; 2 boucheries; 2 charrons, etc… En tout plus de 30 commerçants et artisans et plus 12 personnes employées dans les services administratifs: postes, ponts et chaussées, percepteur, receveur de l’enregistrement, indirects, etc.. et au moins 6 commerçants ambulants qui passaient périodiquement.

“L’Eclaireur de l’Est” était le journal le plus lu. I1 arrivait au premier train à la gare de Pargny sur Saulx vers 5 H, et une automobile qui assurait le transport du courrier postal tous les matins et soirs rapportait également le paquet de journaux à Mme Levieux qui le distribuait. Cette voiture (conduite par G. Lamarthée jusqu’à sa mobilisation) faisait également le taxi pour les gens qui voulaient prendre le train.

La rumeur se précise

Depuis plusieurs années des rumeurs de guerre circulaient. Celle de 1914-18 n’était pas loin et d’autant plus proche que tous les hommes qui l’avaient faite en parlaient beaucoup et leurs voix n’étaient pas étouffées par les nouvelles du monde qui aujourd’hui se succèdent d’heure en heure et font toujours passer au second plan les nouvelles locales.

On avait bien été au courant de la guerre civile en Espagne, mais les autres guerres, sino-japonaise par exemple, étaient loin et ne nous préoccupaient guère.

En 1938, il y avait eu une mobilisation, une répétition générale si l’on peut dire, mais après “Munich”(….) bien que la guerre soit en sursit, la vie se passait presque gaiement. La Fanfare, les jeunes filles de l’Union Jeanne d’Arc et les jeunes du Fanion avaient donné leur représentation théâtrale comme d’habitude. En juillet il y avait eu une grande fête en l’honneur du 150ème anniversaire de la Révolution.

Le 20 août avait eu lieu la fête du retour du Concours de Gymnastique, mais le climat était lourd et certains rappels de classes devenaient inquiétants. Rappelons que le service militaire durait 2 ans et que grand nombre de militaires avaient été maintenus sous les drapeaux. I1 y avait beaucoup de monde dans les rues. On se passait les journaux pour avoir les nouvelles et on se rassemblait près de la mairie pour lire les affiches et en savoir plus…. On écoutait attentivement le tambour de l’appariteur, qui en ces moments est toujours supposé annoncer une mauvaise nouvelle… Les hommes surveillaient attentivement les affiches pour voir si le n° de leur fascicule était rappelé.

Mobilisation générale

Lorsque la mobilisation générale a été annoncée et, le 2 septembre, la déclaration de guerre, tous les hommes pas encore rappelés partaient avec leur petite valise, convaincus que cette fois ci ça ne serait pas comme en 1938. Le moral n’était plus celui qu’on nous avait décrit de la mobilisation de 1914. Les trains de wagons de marchandises marqués “40 hommes, 20 chevaux”, bondés d’hommes en civil ou déjà équipés se succédaient vers l’Est. Le roulement semblait plus lourd et les sifflements des locomotives à vapeur plus stridents. C’était angoissant.

Il y avait au moins 60 hommes du village mobilisés au début de la guerre. C’était un vide dans la commune et la population dut s’organiser pour faire le travail sans les hommes dans la force de l’âge.

En plus du manque d’hommes, beaucoup de chevaux (vraisemblablement une centaine) ont été réquisitionnés. La séparation de ces animaux avait elle aussi fait souvent pleurer leurs propriétaires.

On nous avait distribué des masques à gaz et chacun se promenait avec sa petite boite en bandoulière. Certains s’en servaient pour mettre une bouteille de vin rouge à la place du masque, c’était un moyen discret…

On nous recommandait aussi d’avoir des seaux de sable dans les greniers, en premier secours pour éteindre le feu en cas de bombes incendiaires…

Arrivé des réfugiés

Peu après la déclaration de guerre, les réfugiés de Moselle arrivaient. La plupart étaient avec leurs chevaux et quelques vaches. Ils parlaient presque tous allemand. On les recevait le mieux possible et ils repartaient plus loin. C’était triste, mais c’était des “Frontaliers” et à part les anciens du village qui avaient connu l’émigration en 1914 et auxquels ce spectacle rappelait de mauvais souvenirs, ça ne nous touchait pas directement.

La drôle de guerre

Unanimement, on croyait fermement que la “ligne Maginot” ne céderait pas et que les allemands n’oseraient pas nous attaquer. Les deux “lignes” se regardaient et comme les affiches officielles nous le conseillaient, nous étions tranquilles et dormions en paix.

Une nouvelle vie assez curieuse s’installait. L’hiver de cette année prit très tôt et fut particulièrement rigoureux au grand désespoir des soldats du régiment du midi (le 94éme régiment d’artillerie de montagne) qui cantonnait dans la région. La discipline y était très relâchée et les soldats méridionaux se liaient facilement dans les familles du village. Les cantonnements étaient froids et inconfortables, ils étaient à la recherche d’un foyer chaud et de compagnie. Pendant ces mois de décembre et janvier, il y eu tout le temps de la neige gelée. Les routes étaient impraticables, peu de voitures ou camions roulaient. Du reste, il fallait les remorquer pour les démarrer.

Pour Noël, une grand’messe de minuit avait été organisée par la troupe. I1 avait fallut obturer les fenêtres avec des bâches à cause de la “défense passive”. Les civils étaient astreints à ne pas laisser filtrer de lumière la nuit pour éviter les repérages aériens. M. Viret qui n’était pas mobilisé était responsable de l’application de ce réglement. A ce sujet, tous les carreaux des fenêtres, chez tout le monde étaient peints en bleu pour atténuer la lumière.

On entendait périodiquement les “Messerschmitt” allemands. Parfois, la DCA (défense contre avions) essayait de les descendre. On suivait l’avion entouré de petits flocons noirs en espérant qu’il serait abattu. I1 courait parfois des rumeurs sur des parachutistes vus à tel ou tel endroit. Quant à la 5ème colonne (nom donné aux espions), qui a réellement existé, l’imagination en voyait partout.

On était toujours à l’affût du journal pour lire les communiqués. Rien ne bougeait. Pour ceux qui avaient la TSF, il y avait d’une part les déclarations du ministre de la guerre et aussi, avec des ondes brouillées, le traître de Stuttgart… qui essayait de démoraliser les soldats et les habitants. Plus tard, cette même radio annoncera les points avancés des allemands avant les communiqués officiels et presque avant l’arrivée des premiers éléments ennemis.

Le printemps était là… des soldats venaient en permission. Des femmes allaient retrouver leurs maris… l’armée prêtait des chevaux de selle aux cultivateurs après leur avoir réquisitionné leurs chevaux de labour, etc… On attendait les nouvelles, on attendait les lettres, les permissions… On attendait et il ne se passait rien. I1 fallait des sauf conduits pour voyager. C’était la mairie ou la gendarmerie qui les distribuaient assez facilement. C’était la drôle de guerre.

L’attaque par la Hollande

Puis le 10 mai au matin, réveil en fanfare ! dès l’aube des tirs intenses de DCA, les fenêtres vibraient, chacun sortait dans la rue, allait aux nouvelles. C’était l’attaque par la Hollande. Des bombardements aux environs, Vitry, Revigny. Tout vibrait et les plus prudents allaient se cacher dans leur cave ou dans les tranchées abris qu’on nous avait recommandé de creuser dans les jardins.

On ne savait toujours pas grandchose, mais bientôt d’autres émigrés en voitures automobiles affluèrent, c’étaient des belges, des luxembourgeois, puis des gens du nord. Puis d’autres ensuite arrivaient en défilés inintérrompus avec des chevaux, des vélos, à pied avec les enfants, les vieillards et leurs maigres bagages. Le village était submergé par les réfugiés. La place et les rues en étaient remplies. Chacun faisait ce qu’il pouvait pour les aider, nourriture, logement. Les jeunes se retrouvaient sur la place et conduisaient les gens vers des granges pour la nuit. I1 en passait des centaines par jour en plus des convois militaires.

Heureusement, il faisait beau, parfois trop chaud. Mais devant cet afflux de réfugiés et les nouvelles alarmantes qui arrivaient sans cesse, des gens d’Heiltz-le-Maurupt commençaient eux aussi à préparer leur départ, et même les premiers s’en allaient. Où ?…. personne ne savait; vers le sud. Les événements devaient se précipiter rapidement après avoir vu défiler tant de pauvres gens emportant leurs quelques bagages et vu tant de misère.

L’évacuation

Le 12 juin, le maire donnait l’ordre aux habitants de prendre également la route… vers St-Dizier, vers l’Aube, vers la Côte d’Or… vers le midi.

Alors, les rares qui avaient des voitures en état sont partis avec et ont quelques fois dû les abandonner sur les routes. Les autres avec des voitures à chevaux, d’autres à pied. Très peu de gens sont restés sur place. Tous ceux qui quittaient le village avaient le coeur gros. Ils n’ont pas été sans regarder, pour une dernière fois peut-être leur maison et, de loin le clocher…

Après bien des péripéties, c’était pour presque tous le retour. Mais hélas, pour certains de nos compatriotes, la crainte de ne pas revoir son village a été une triste réalité….